La dynamite est bonne à boire by Frédéric Dard

La dynamite est bonne à boire by Frédéric Dard

Auteur:Frédéric Dard [Dard, Frédéric]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier thriller
Éditeur: 12-21
Publié: 2013-03-14T16:00:00+00:00


ICI REPOSENT JUAN-MANUEL IGNACIO ET DOLORES MANDOZA

Qui se donnèrent la mort en ce lieu

le 3 août 1934

– Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Santos, mal à l’aise.

Oruro venait d’entrer dans le sépulcre ; il l’inspectait attentivement.

– On s’installe, déclara-t-il.

– Et les mulets ?

– Il n’y a pas de place pour eux. Rentrons les provisions et attachons les bêtes derrière la tombe, le Bon Dieu s’occupera d’elles.

Ils firent ainsi tandis que la pluie se déchaînait, avec une violence inouïe. La nuit tombait, martelée par le tonnerre. Les éclairs de plus en plus nombreux mettaient dans le mausolée une clarté spasmodique qui faisait scintiller une peinture sur cuivre représentant une madone douloureuse. Le tableau, fixé au fond du sépulcre, s’écaillait. Des insectes grouillaient sur la figure de la Vierge.

Santos frissonna.

– Tu ne penses pas que c’est un sacrilège ? demanda-t-il à son compagnon.

– Pourquoi ?

– Il y a des morts là-dessous !

– Oh ! nous ne les dérangeons pas. Les morts dessous, les vivants dessus, c’est normal !

Tout en parlant, Oruro déballait des provisions.

– Nous avons déjà mangé tout à l’heure, ne put s’empêcher de faire remarquer Santos.

– Et alors ? La faim n’a pas d’heure !

– Si nous devons tenir longtemps sans ravitaillement, ça sera juste !

Oruro montra la madone.

– Tu oublies la Providence, fit-il. Elle s’occupe de nous. La preuve : elle nous a fait trouver un abri pour la nuit.

– Tu ne crois pas que ça va permettre aux autres de nous rattraper ?

Oruro montra les trombes d’eau qui ensevelissaient le paysage.

– Tu t’imagines qu’ils sont plus malins que nous ? Nous, nous courons après notre liberté et eux après deux mulets, l’enjeu n’est pas le même.

Santos se tenait tout au fond de l’habitacle, en retrait de la tombe.

– Pourquoi a-t-on enterré ces deux-là ici ? demanda-t-il au bout d’un moment de méditation.

– Je crois me rappeler l’histoire, fit Oruro. C’était deux amoureux de La Paz. Leurs familles étaient brouillées…

Il avait ouvert une boîte de maïs et mangeait gloutonnement. Sa voracité écœurait un peu Santos. Jusque-là, il n’avait jamais été incommodé par les manières frustes de son compagnon, mais il se sentait changé moralement.

Oruro avala une énorme bouchée et poursuivit :

– Les deux amoureux se sont sauvés. Ils sont venus dans la montagne et ils s’y sont tués. Comme ils n’avaient plus droit à la Terre sainte, leurs familles, réconciliées du coup par le malheur commun, leur ont fait élever ce tombeau ici.

Le mot tombeau causa à Santos une désagréable impression. Mais il pensa à ces deux jeunes gens tués par leur amour et il comprit qu’ils n’étaient pas des morts ordinaires. Ces dépouilles gisant sous la pierre ne pouvaient lui être hostiles.

C’étaient des cadavres amis. Eux et lui étaient faits pour s’entendre.

L’image de Consuelo vint lui tenir compagnie. Il oublia le bruit répugnant que faisait Oruro en mastiquant.



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